Crise agricole - Soutien des élus du Territoire : "il faut changer de logiciel !"

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Date de l'évènement: 
Mercredi, 24 Février, 2016

Mercredi 24 février (2016), en clôture du Conseil Communautaire, le président Vincent Clec'h a tenu à marquer son soutien aux agriculteurs victimes de la crise actuelle. "L'élevage agricole subit une crise sans précédent… sachant que la Bretagne est ...

... une terre rurale et que nos productions sont primordiales pour la France puisque nous sommes une région leader sur ce point(1)" introduit le président qui, sans excuser les débordements, pense que l'on est aujourd'hui devant une fracture, non seulement économique, mais aussi et surtout sociale. "Notre territoire est basé sur l'agriculture et l'agro-alimentaire, rappelle-t-il, et le monde agricole a évolué ces dernières années, sur ses outils de travail, sur le respect des normes environnementales". Pour autant, les agriculteurs sont face à de grosses difficultés, car ils n'ont pas les prix rémunérateurs de leur travail. "Il y a actuellement une souffrance sociale énorme de la part de gens qui travaillent et n'arrivent pas à se payer un salaire, depuis des mois et des mois pour certains, poursuit-il, et on voit que malgré tout ce qui peut être fait par les filières, par les pouvoirs publics, par les banques… rien ne résout le problème car les agriculteurs ne demandent pas des aides, des étalements de créances, des exonérations de cotisations sociales, surtout quand il n'y a pas de salaire… Non ! Ce qu'ils souhaitent, c'est d'avoir des prix rémunérateurs". Selon lui, tous les modes de production sont en difficulté et il indique qu'une motion, non polémique, sans parti pris pour un modèle de production ou un autre a été votée par les élus de Guingamp. "Faites-la remonter, dit Vincent Clec'h, car on voit bien que les solutions ne sont pas à notre niveau. Elles sont au niveau de l'Europe, des filières de transformation, de distribution… Il y a des solutions et nous, les élus, devons apporter notre soutien !".

A l'initiative de cette intervention de Vincent Clec'h, il y a Noël Bernard… ancien maire et surtout, ancien vétérinaire de campagne. Il a partagé sa vie avec les agriculteurs et de fait, il est particulièrement touché par la situation actuelle qu'ils traversent. "Tellement de choses ont été dites ou écrites dans la presse et par ailleurs et nul aujourd'hui ne peut pas savoir toutes les difficultés qui peuvent exister dans le domaine laitier ou porcin" déclare-t-il, espérant qu'en dehors du simple constat des difficultés du secteur, des solutions pérennes soient trouvées. "Entre 2000 et 2014, 34% des exploitations laitières ont disparu en France. Sur les 60.000 exploitations actuelles en France, on estime que seules 25.000 devraient vivre encore en 2025. En 10 ans, les deux tiers des exploitations porcines ont disparu. Leurs tailles, elles, ont été multipliées par 2,5. Jusqu'aux années 2000, les prix étaient cycliques… le marché finissait par régler le problème". Aujourd'hui, les crises sont permanentes, à cause, explique-t-il, d'un excédent de production "lié à une inéquation entre l'offre et la demande, conséquence de la fin des quotas laitiers, de la baisse des commandes chinoises, de l'embargo russe, mais aussi à cause de distorsions de concurrence au sein même de l'Europe, en matière sociale comme en Allemagne qui emploie des gens venant des pays de l'Est à un salaire de misère, ou environnementaux , comme l'Espagne qui n'a pas les même règles qu'ailleurs". Mais aussi, un excédent de production lié plus globalement, "à une insuffisance de la consommation des ménages, à une Europe qui n'est nullement un espace de solidarité et de fraternité mais un espace organisant la compétition et la concurrence de plus en plus sauvage entre ses membres". Ainsi, donc, les cours ne couvrent plus les coûts de production, poursuit l'élu, "alors que dans le même temps des investissements importants ont été réalisés pour répondre à une hypothétique augmentation de la demande extérieure et je pense aux très nombreux robots de traite qui ont été mis en place dans notre secteur en particulier ; Ça coûte la peau des fesses et il faut bien les payer par la suite". En dehors de ce constat fait par tout le monde, Noël Bernard rappelle qu'en 2009, une crise du lait avait utilisé les mêmes remèdes : baisse des cessations d'activités, baisse des charges… "et pour quels résultats ? Aucun, sinon la situation actuelle !". Pour le porc, le nouveau plan breton et national qui vient de sortir (NDLR : Il y est question de soutien des démarches d'innovation et de qualité, de baisse des charges, de développement de la performance, de regroupement de producteurs… Plus d'informations ICI), revêt pour l'ancien véto, "un caractère assez dérisoire, car qui va investir avec les conditions actuelles de prix, sinon, toujours les mêmes… Comment peut-on encore aider certains à se développer encore alors qu'il y a déjà surproduction !? Je m'interroge ! Certes cela permettra de résoudre quelques cas sociaux mais aucune proposition n'est faite concernant les prix !". Or le problème est bien là ! Les prix ! Pour l'ancien maire, les solutions reposent sur "la remise en place des outils de régulation au niveau Européen - quotas, gestion des volumes sur le long terme en adaptant l'offre et la demande, stockage en cas d'excédent – l'harmonisation des politiques sociales et environnementales et la relance de discutions avec la Russie". Pour lui toujours, au niveau français, il faudrait des aides pour les plus démunis, discuter avec les banques – "notamment le Crédit Agricole" – mettre en place un système de surprimes amplifiées pour les cinquante premiers hectares, - "c’est-à-dire la plupart des fermes de notre secteur" – et indiquer l'origine des produits par un nouvel étiquetage, "la priorité étant donnée à l'origine France dans la restauration collective". Au niveau de la profession agricole, poursuit l'élu, il faudrait produire mieux en privilégiant tout ce qui est garant de qualité, assurer une meilleure autonomie d'exploitation tant commerciale que fourragère "en privilégiant autant que faire se peut le circuit court". Enfin et ceci est essentiel pour Noël Bernard, "il faut assurer un prix plancher garanti à chaque agriculteur pour un quota donné de production lui permettant de vivre dignement" et il précise que cela ne peut être que le résultat de négociations entre les organisations de producteurs et les syndicats agricoles, avec les transformateurs et la grande distribution, en légiférant sur les marges abusives. "Il faut des contraintes légales, conclut Noël Bernard, ce qui n'empêchera en rien pour le reste d'être compétitif dans une économie mondialisée. L'indispensable transition de notre modèle de production et de consommation est sacrifié aujourd'hui au détriment du travail des paysans comme des consommateurs, de l'environnement, de l'emploi et d'un aménagement harmonieux des territoires de notre pays. Si on ne s'en prend pas au marché et qu'on s'imagine qu'il se régularisera tout seul, on retrouvera dans quelque temps les mêmes drames et les mêmes aberrations que maintenant, avec des paysans transformés en tacherons du business agro-alimentaire. Notre souhait est d'avoir des campagnes vivantes, avec des paysans nombreux et bien dans leurs bottes. Pour cela, il faut changer de logiciel".

Yvon Le Moigne, le président du Pays de Guingamp, vice-président du Pays de Bégard et maire de Squiffiec partage l'analyse faite par Noël Bernard, "d'autant plus qu'elle n'est pas partisane ou orientée vers une philosophie quelconque". Pour lui, elle prend acte d'une situation sociale et économique dans laquelle se trouve aujourd'hui le monde agricole. "Je partage le fait que ce n'est pas dans une agriculture intégrée au service d'un business mondial qu'on maintiendra le schéma agricole breton qui était fait de fermes familiales, de dimensions relativement modestes et qui en aucun cas ne rentrait dans un schéma d'intégration, ce que l'on tenterait aujourd'hui de faire trop facilement", poursuit le vice-président du Pays de Bégard qui conclut :  "Le modèle agricole breton est un modèle familial dans lequel chacun a le droit de gagner dignement sa vie. C'est dans ce sens-là que nous devons porter nos efforts".

La dernière intervenante, lors de ce Conseil Communautaire, est Chantal Rouzioux, la chef de file de la minorité Bégarroise : "En qualité d'économiste agricole, je suis très sensible à la question… c'est mon métier. J'apporte toutefois des différences dans l'analyse". Pour elle, la première raison de la crise n'est pas conjoncturelle mais structurelle : "Si l'on continue à développer l'agriculture comme on l'a fait, selon le schéma dans lequel elle s'engouffre aujourd'hui, on n'aura plus de paysans dans nos campagnes mais simplement des salariés au service d'un agro-business". Elle indique qu'en Commission Départementale, la semaine précédente, sur 30 projets d'installation, 300.000 litres de lait ont été accordés par exploitation, en supplément ; "Ce qui fait un million de litres de plus qui seront produits demain dans le secteur pour la campagne 2016-2017. Et ce n'est que le début de l'année". La deuxième raison, selon l'élue de BAGA (NDLR : Bégard à Gauche Autrement), c'est la spéculation faite sur les denrées alimentaires et notamment sur les céréales qui sont la première source de dépense pour les agriculteurs éleveurs. "On stocke les céréales pour pouvoir les vendre plus chères ! C'est un boomerang pour les agriculteurs !" et de conclure : "Travaillons et soutenons les agriculteurs pour qu'ils arrêtent de spéculer sur les denrées et qu'ils aient des exploitations qui leur permettent de vivre, avec des investissements raisonnés. Pour satisfaire les volumes, on se modernise, on achète des robots de traite mais ça étrangle les paysans. Il faut les soutenir mais soutenir les paysans qui s'orientent vers une autre agriculture qui soit plus raisonnée que les modèles que l'on voit aujourd'hui se développer".

Le lendemain, à Bégard, alors que ce même thème est venu en conclusion du Conseil Municipal, après l'intervention de Noël Bernard, Jean Coëdic, élu municipal a tenu à se prononcer à son tour sur le sujet : "C'est un très bel exposé que vient de faire Noël, qui nous parle de paysans... mais j'aimerais apporter un petit bémol : pour moi, ce ne sont pas des paysans, au vrai sens du terme, c’est-à-dire ceux qui aiment la terre… Ceux-là, ils sont là pour produire, produire et encore produire… Quant à ceux qui ont déversé leurs cochonneries sur les routes… c'est de l'argent public qui est dépensé pour réparer tous ces dégâts et malheureusement, cela n'ira pas dans la poche des agriculteurs".

Alors que vient de s'ouvrir le Salon de l'Agriculture, les préoccupations des agriculteurs éleveurs de porcs ou producteurs de lait, et notamment des agriculteurs bretons, sont très largement partagées par les élus du territoire comme en attestent les débats du Conseil Communautaire du 24 février, du Conseil Municipal de Bégard le lendemain et encore l'exposé d'introduction fait par le président de la caisse locale du Crédit Agricole lors de son assemblée générale qui a eu lieu le lendemain encore. Sans polémiquer sur la forme de la contestation, ni sur les raisons conjoncturelles ou structurelles de la crise, les élus du territoire ont tenu à faire savoir leur soutien unanime et leur volonté de voir l'émergence d'un autre modèle agricole, plus raisonnable, plus modéré, plus proactif. C'est fait !

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(1) La Bretagne est la première région française pour les productions animales : 58% du tonnage national de viande bovine, 43% du volume d'œufs, un tiers de viandes de volailles, 22% du volume de lait et 21% de viande de veau. Cela représente 47.000 actifs agricoles. Plus 56% du cheptel porcin français est élevé en Bretagne – On compte 6.528 sites d'élevage en Bretagne en 2014 et la filière porcine bretonne, c'est 30.780 emplois directs, dont 7.410 pour la production agricole - La filière viande porcine bio en Bretagne es la 2ème plus importante en France (après la région Pays de la Loire) – On compte 12.434 producteurs de lait en Bretagne - La filière représente 34.620 emplois directs dont 22.250 pour la seule production agricole – La Bretagne détient 20% du cheptel national bio - Positionnée au second rang derrière la région Pays de la Loire, elle fournit 21% de la collecte nationale de lait bio. (Source Chambre d'agriculture – Chiffres 2015)

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