Bégard – Bon Sauveur : Le parcours du psychiatre selon le Dr Touminet

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Date de l'évènement: 
Mardi, 22 Octobre, 2019

Mardi 22 octobre (2019), en clôture de la journée consacrée aux usagers des services de la Fondation Bon Sauveur [NDLR : Voir « Journée des usagers », une première pour la Fondation Bon Sauveur], était proposée une conférence tout public sur le thème : « La maladie psychique : repérage et accompagnement » avec les Docteurs Marie-Pascaline Touminet et Claire Bernard. C'est Jean-Yves Déréat, cadre supérieur de santé du pôle infanto-juvénile, qui avait adopté la posture de l'animateur.

Etaient présents dans la salle de la MJC du Pays de Bégard, Roland Ollivier et Pascal Conan, respectivement Président et Directeur de la Fondation, des membres de la direction, la sous-préfète de Guingamp, Dominique Laurent, les docteurs René Le Guern et Dominique Faidherbe et de nombreux autres professionnels de la Fondation.

"Docteur Touminet, vous incarnez l'humanisme et j'ai eu la chance de travailler auprès de vous pendant 5 ans, entame Jean-Yves Déréat qui l'interroge sur la façon dont elle intervient aujourd'hui auprès des patients et des familles et sa perception de l'évolution des soins.

"Plutôt que de parler du parcours du patient, je vais plutôt parler du parcours du psychiatre", répond le Dr Touminet qui est arrivée à la Fondation en 1975 et qui considère que son travail est "une rencontre avec une humanité qui est pleine de défauts, de ratés, de vertiges, d'irrégularités, de valeurs, de déracinement, et aussi de fécondité et d'espérance". Pour elle, il faut être toujours capable d'espérer et ne jamais se laisser enfermer dans l'ignorance. "Nous devons reconnaître nos propres difficultés dans les difficultés des autres, car il ne faut pas croire que nous soyons nous-mêmes indemnes de toute angoisse, de toute tristesse, de tout trouble du caractère".

La psychiatrie, c'est un métier de rencontres

"Ne pas s'attaquer seul au problème du soin, c'est indispensable quand on est médecin ou psychiatre ici" déclare le Dr Touminet ; La psychiatrie, c'est une histoire de rencontres avec les malades d'abord, des simples, des moins simples et des carrément compliqués et je sais que je vais partager avec eux des moments de peur, de délire, de tristesse et heureusement des moments de joie et de soulagement". Ce sont des blessés de l'enfance, des paysans au bord du précipice - "comme en ce moment à Guingamp et un peu partout" - des travailleurs victimes d'un rude système économique – "on parle de plus en plus de burn out et ça fait des dégâts" - des psychotiques – "qui sont notre préoccupation permanente" - des déments, "de plus en plus nombreux puisque nous vivons de plus en plus vieux". Ce sont des malades qui font peur, ou qui fascinent, ou qui suscitent le rejet. Le plus souvent, ils sont pauvres – "ce qui  n'arrange rien" – pauvres en argent, en logement, en loisirs, en famille, en accès à la culture "et parfois ils sont carrément invisibles".

Et puis, il y a les rencontres avec les familles... "On les trouve souvent soutenantes, parfois rejetantes, ou absentes, ou souffrantes le plus souvent". Elles ont souvent été accusées de mal se conduire et d'être la cause de la folie de leurs proches mais aujourd'hui, elles sont davantage présentes dans le parcours du soin, "et ça, c'est une bonne chose".

Être psychiatre, c'est aussi une rencontre avec d'autres soignants. Elle se souvient du Dr Sven Follin "qui a écrit un livre remarquable" [NDLR : "vivre en délirant" – Editeur : "Empêcheurs de tourner en rond" – auteurs : Sven Follin et Bruno Latour] où il raconte que le délire, c'est d'abord une façon de rester en vie". Il lui a appris le travail, à Sainte-Anne à Paris. Elle évoque aussi un psychiatre spécialisé en pharmacologie qui répétait à longueur de jours : « si vous répétez trois médicaments lorsque vous soignez vos gens, vous ne savez plus ce que vous faites ».

Elle se rappelle aussi ses rencontres à Bon Sauveur en 1975, du tandem que constituaient le Dr Faidherbe et Sœur Jacq. "Lui, c'était un clinicien au top, un expert auprès du tribunal de Grande Instance. Arrivé un an auparavant, alors qu'il quittait un poste dans le massif central où il avait connu les colonies d'accueil familial, il allait développer ici ce système de prise en charge : l'accueil familial comme moyen d'ouverture de l'hôpital, comme moyen de reclassement des patients dans la cité et ça a vraiment très bien marché".

Puis d'évoquer des rencontres avec des équipes,à Bégard, à Paris, à Rennes, à la Salpêtrière, à la recherche d'autres approches, "auprès de gens remarquables", qui lui ont appris à poser un diagnostic partagé, à déterminer avec le patient un projet, un objectif réalisable, une cible à atteindre, "en ne se focalisant pas que sur ce qui ne va pas mais en regardant aussi ce qui va bien".

"La maladie mentale est une pathologie de la liberté, une limitation du lien aux autres, du lien au monde, et on apprenait surtout qu'il convenait de travailler en réseau car seul on n'arrive à rien" résume le Docteur Touminet pour qui, être médecin en psychiatrie, c'est travailler avec des tas de gens qui se prennent d'intérêt, de passion pour ce qu'ils font, quel que soit  le domaine : la pleine conscience, la relaxation, l'hypnose, l'art thérapie... "Et l'importance du jardinage comme créateur de liens... mais aussi de soupes" ajoute-t-elle avec malice.

L'IA et les théparies géniques pour demain ?

Pour elle, travailler, c'est essayer des pistes nouvelles d'accueil, de prise en charge, d'activités, et s'appuyer sur des lectures. Elle cite le récent livre de Cédric Villani, qui parle de l'intérêt de l'intelligence artificielle en santé. "Il est certain qu'un jour, l'intelligence artificielle jouera un rôle certain, sur la rapidité du diagnostic - on en a besoin - et sur la recherche de traitements efficaces".

Elle pense qu'il sera possible de créer des algorithmes sur les perturbations du sommeil, l'insuffisance olfactive, les bio marqueurs génétiques, les facteurs environnementaux et autres choses très compliquées comme l'IRM fonctionnelle et les thérapies géniques, "pour réparer notre ADN".

En point final de sa longue intervention, elle cite Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste : « Soigner est une tâche laborieuse qui prend du temps et qui s'attache à rendre la vulnérabilité capacitaire » et elle conclut en déclarant : "Je crois que c'est l'essentiel de notre travail, c'est de faire en sorte que d'une manière ou d'une autre, des gens vulnérables deviennent capables de faire des choses".

Témoignage

Hospitalisé en 2002 et une première fois en 1972 lorsqu'il avait 26 ans, un ancien patient de l'hôpital présent à la conférence témoigne. Il confirme que le fait que les soignants puissent avoir contact avec le milieu familial et l'environnement de vie du patient, peut apporter des renseignements importants qui peuvent orienter les soins. "Pour ma part, j'ai pu partager le tumulte que j'avais dans la tête avec d'autres au sein d'une association de patients". Quant à la lecture, "une fois que l'on est en capacité de le faire", ça peut aider selon lui, même s'il avait pris une autre voie : "Moi, ce que j'ai fait, c'est écrire mes états d'âme. Je le faisais en cachette. Ça m'a aidé et je pense que cela peut en aider d'autres". A 73 ans, il témoigne pour prouver que l'on peut remonter la pente, "et j'ai souvent replongé ; Mais je suis remonté ; Et plus on descend profond, plus on remonte haut".

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